Dans un contexte où l’Algérie cherche désespérément à diversifier son économie au-delà des hydrocarbures, la marque automobile malaisienne Proton émerge comme un acteur inattendu mais prometteur.
La société, fondée il y a plus de quatre décennies, ambitionne d’élargir significativement sa présence sur le sol algérien, qu’elle voit comme un "pivot stratégique" pour conquérir l’Afrique du Nord. Cette offensive n’est pas un coup dans l’eau : elle s’appuie sur des négociations avancées avec les autorités locales et pourrait bien transformer Alger en un hub régional de production, générant emplois, transferts de technologie et une bouffée d’air frais pour un secteur automobile national encore balbutiant.
Les discussions les plus récentes, menées par des représentants de Proton avec Son Excellence Datuk Rizani Erwan Muhammad Mazlan, l’ambassadeur de Malaisie en Algérie, ont mis l’accent sur une synergie parfaite entre les ambitions de la marque et les priorités industrielles du pays. L’objectif ? Aligner les plans de croissance de Proton sur la feuille de route nationale, qui vise à atteindre 500.000 véhicules produits annuellement d’ici 2030, selon les directives du ministère de l’Industrie. Au menu : une production locale accrue, des partenariats avec des assembleurs algériens et un renforcement de la chaîne d’approvisionnement en pièces détachées. "Nous ne venons pas seulement vendre des voitures ; nous venons bâtir un écosystème durable", a confié Muhammad Azwan bin Muhammad Noor, le représentant de Proton en Algérie, lors d’une rencontre bilatérale la semaine dernière. Pour lui, cette collaboration est "essentielle pour positionner l’Algérie comme un leader incontesté de l’industrie automobile en Afrique du Nord, face à des concurrents comme le Maroc ou la Tunisie".
Pour comprendre l’enjeu, un flashback s’impose sur l’histoire de Proton, cette succès story Malaisienne qui a su défier les géants mondiaux. Née en 1983 sous l’impulsion visionnaire du Dr. Mahathir Mohamad, alors Premier ministre, la marque a été conçue comme un instrument de souveraineté industrielle pour un pays émergent. Filiale de DRB-HICOM, le conglomérat malaisien, Proton a démarré modestement en s’appuyant sur une alliance avec Mitsubishi Motors. Les technologies et composants japonais ont permis de lancer, en 1985, le premier modèle : la Proton Saga, assemblée dans l’usine ultramoderne de Shah Alam, près de Kuala Lumpur. Ce petit sedan, inspiré de la Mitsubishi Lancer Fiore, a marqué un tournant : en janvier 1989, la 100.000e Saga sortait des chaînes, un symbole de réussite pour une nation qui n’avait pas encore son heure de gloire économique.
Les années 1990 ont été celles de l’expansion. Proton diversifie son offre avec la Wira (basée sur la Mitsubishi Lancer, mais avec une touche locale) et la Perdana (un sedan haut de gamme). Ces modèles captent rapidement le marché domestique, où Proton détient encore aujourd’hui plus de 20% de parts. Puis vient le virage de l’innovation : en 2001, la Waja voit le jour, premier véhicule conçu et produit à 100 % en Malaisie – un exploit d’ingénierie qui a valu à Proton le surnom de "tigre asiatique de l’automobile". L’acquisition, en 2007, de Lotus Cars, la légendaire écurie britannique, propulse la marque vers l’excellence technique. C’est là que naissent les moteurs CamPro, une gamme de propulseurs performants et économes, intégrés dès 2004 à la Gen-2, successeur de la Wira. Aujourd’hui, Proton propose une gamme variée, des citadines comme la Saga aux SUV comme le X70 (développé avec Geely, partenaire chinois depuis 2017), en passant par des berlines hybrides qui flirtent avec l’électrique. Ce bagage historique explique l’attractivité de Proton pour l’Algérie. Le marché maghrébin, avec ses 45 millions d’habitants et une demande croissante pour des véhicules abordables (le parc automobile algérien compte environ 6 millions d’unités, majoritairement importées), représente un Eldorado. Mais l’Algérie n’est pas qu’un consommateur : c’est un producteur en herbe. Depuis l’ouverture du secteur en 2020, des usines comme celle de Fiat à Riadh El Feth ou de Renault à Oued Tlelat produisent déjà des milliers de véhicules par an. Proton pourrait s’y greffer en apportant son expertise en assemblage local, réduisant ainsi les coûts d’importation et favorisant l’intégration de fournisseurs algériens. Imaginez : des Saga ou des X50 badgés "Made in Algeria", exportés vers le Sahel ou l’Europe du Sud. "C’est une opportunité win-win", analyse un expert du secteur à l’Université d’Alger. "Proton gagne un pied en Afrique, l’Algérie gagne en souveraineté industrielle."
Les implications économiques ne se limitent pas aux usines. Un tel partenariat pourrait créer jusqu’à 5.000 emplois directs d’ici cinq ans, selon des estimations internes de Proton, tout en stimulant les secteurs connexes comme la sidérurgie et l’électronique. C’est d’autant plus crucial que l’Algérie, frappée par la chute des prix du pétrole, mise sur l’industrie pour absorber sa jeunesse urbaine – un défi où les investissements étrangers comme celui de Proton sont les bienvenus. D’ailleurs, la Malaisie n’est pas une novice en la matière : ses entreprises, de Petronas à Axiata, ont déjà investi plus de 500 millions de dollars en Algérie ces dernières années, dans l’énergie et les télécoms. Ce lien bilatéral, renforcé par des accords de libre-échange, pave la voie à une coopération plus profonde. Bien sûr, des obstacles persistent. Les normes douanières algériennes, encore protectionnistes, exigent un taux d’intégration locale de 40% minimum pour les véhicules importés en CKD (démontés). Proton, habitué à ces défis en marchés émergents comme l’Irak ou le Maroc, propose des solutions : formation de main-d’œuvre locale via des centres de compétences à Alger, et des joint-ventures avec des acteurs comme Cevital ou Tahkout. Sur le plan environnemental, la marque malaisienne, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050, pourrait introduire des modèles hybrides adaptés aux routes sahariennes, répondant aux ambitions vertes de l’Algérie post-COP27. À l’international, Proton n’est plus un outsider. Elle exporte vers plus de 50 pays, dont la Grande-Bretagne (où la Saga a été la première voiture asiatique à dépasser 100 000 unités vendues), l’Afrique du Sud, l’Australie, la Turquie, la Chine et les pays du Golfe – Bahreïn, Arabie saoudite, Émirats arabes unis. En Afrique du Nord, ses modèles sillonnent déjà les rues du Caire et de Casablanca, prouvant leur robustesse face aux climats extrêmes. En Algérie, une première implantation pilote pourrait voir le jour dès 2026, avec un show-room à Alger et un atelier d’assemblage à Boumerdès. En somme, l’arrivée de Proton n’est pas qu’une transaction commerciale : c’est un pari sur l’avenir d’une Algérie industrielle. Tandis que le Maroc accélère avec Renault et que la Tunisie flirte avec les Chinois, Alger pourrait, grâce à ce tandem malaisien, tracer sa propre voie. Les négociations se poursuivent dans la discrétion diplomatique, mais les signaux sont verts. Pour les conducteurs algériens, habitués aux importations onéreuses, l’horizon s’éclaircit : des voitures fiables, locales et peut-être électriques. Proton, le tigre malais, rugit en terre maghrébine – et l’Algérie pourrait bien devenir sa fierté africaine. Reste à concrétiser : les prochaines annonces, attendues pour le premier trimestre 2026, seront décisives.